Se souvenir de la grande guerre pour mieux construire la paix
novembre 13, 2016 dans A la une, A vos côtés par Catherine Baratti-Elbaz
Monsieur le Président du Comité d’Entente des Associations de Combattants et Victimes de Guerre,
Monsieur le Vice-président National de l’Union Française des Associations de Combattants et de Victimes de Guerre,
Mesdames et Messieurs les membres des associations d’anciens combattants,
Mesdames et Messieurs les élus,
Madame la Commissaire
Mesdames et Messieurs,
A l’occasion de ce 98e anniversaire de l’Armistice de 1918, j’ai souhaité que soit lu devant nous des lettres, carnets et témoignages de Poilus, victimes de ce conflit dévastateur où plus de 10 millions d’hommes et femmes ont perdu la vie.
Ces lettres sont une plongée dans le quotidien des hommes, des femmes et des enfants qui ont traversé ces quatre années de violence et de souffrance aux côtés des soldats mobilisés. Survivre à ces quatre années relevait presque du miracle pour ces Poilus, et encore à quel prix ? Survivre amputé, survivre la « gueule cassée », survivre traumatisé par cette hécatombe dans un décor de fin du monde, survivre après quatre années à regarder passer les obus dans les deux sens dans une tranchée noire et humide.
Survivre à la transformation de ces troupes sanglées dans de beaux uniformes qui avançaient en rangs serrés leurs baïonnettes étincelantes, en ces milliers de corps en décomposition abandonnés sur un champ de bataille criblé de trous d’obus.
Cette « grande Guerre » a constitué un traumatisme majeur qui a marqué durablement l’Europe et qui entrainera des mutations à l’échelle mondiale.
Elle constitue une déchirure profonde entre l’avant et l’après, par sa durée, son ampleur, le nombre d’hommes engagés mais aussi par sa brutalité nouvelle et la déshumanisation des combats.
La « monstrueuse tuerie » de 14-18 « défie encore aujourd’hui la raison ». Notre peuple a passé plus de quatre ans à supporter le pire : les bombardements, les gaz, les tranchées, la boue quotidienne, les assauts suicides, l’obsession de la mort, les blessures, les mutilations, tout ça au nom de la patrie ».
Nous commémorons aujourd’hui la fin de cette guerre, la mémoire de ce sacrifice inouï de millions d’hommes et de femmes d’ici mais aussi d’ailleurs, dans les pays de nos éternels alliés et de nos adversaires d’hier.
Maurice Genevoix, poète français et héros de la Grande Guerre nous le dit et je vous le répète « ce que ces soldats ont fait, c’est plus qu’on ne pouvait demander à des hommes et ils l’ont fait ».
La Grande Guerre marque une rupture sans précédent, la fin d’un monde et le début du XXe siècle.
Il y a 98 ans, le 11 novembre 1918, le clairon de l’armistice sonne, enfin, la fin des combats. A compter de ce jour, le monde réalisera que cette guerre a entrainé des mutations d’une ampleur inédite et durables dont il serait vain d’espérer que la fin des combats puisse les effacer.
Le plus grand bouleversement de cette guerre réside dans la découverte de la barbarie à grande échelle. Nous devons nous rappeler ces chiffres : En France, près de 17% des mobilisés ont perdu la vie et en moyenne, de 1914 à 1918, ce sont près de 900 hommes, qu’ils soient « boulangers, bourgeois ou ouvriers » qui meurent au front, chaque jour pendant près de 50 mois !
Le 11 mars 1918, ce sont six millions d’invalides qui portent à jamais dans leur chair, les stigmates du combat de la Grande Guerre. Pour deux générations, la veuve et le mutilé de guerre feront partie intégrante du paysage social.
Cette cassure se révèle aussi dans une guerre plus technologique et plus industrielle qu’auparavant. La région parisienne se révèle alors la première productrice d’armement de notre pays. Ce ne sont pas moins de 100 000 obus par jour qui y sont fabriqués. Mais cette guerre, c’est aussi l’utilisation d’un nouveau genre d’armes chimiques aux séquelles terribles. Aujourd’hui encore, des procédés barbares sont imaginés et utilisés, pour s’assurer une mort massive et cruelle d’hommes et de femmes, de militaires comme de civils.
A la différence des conflits précédents, cette guerre est qualifiée d’absolue car elle mobilise toutes les couches de la population de notre pays. Les femmes participèrent à la lutte sur tous les fronts : au combat, elles soignaient les blessés, à la campagne, elles cultivaient les champs et en ville, les munitionnettes travaillent à la production d’obus. La guerre voit naître les « combattantes de l’arrière », ces femmes qui travaillaient au service de l’industrie de l’armement.
La guerre fût indéniablement une parenthèse émancipatrice pour les femmes. En France, cette parenthèse s’est rapidement refermée après guerre, sous la pression d’un conservatisme social très fort.
Le recours aux forces humaines des colonies françaises constitue également une rupture avec les guerres passées. En ce jour de mémoire, je souhaite également que l’on se souvienne des nombreux combattants d’Outre-mer, des tirailleurs sénégalais, des soldats d’Afrique du Nord, d’Asie ou d’Océanie morts nombreux pour la France.
Mais la guerre a aussi défiguré 15 000 soldats, 15 000 « gueules cassées ». Ces hommes sont revenus de la guerre mais ont perdu à jamais une partie d’eux mêmes sur le champ de bataille. Abandonnés, marginalisés ils ont été trop souvent oubliés dans une définitive exclusion. Car si la France d’après guerre glorifie ses morts, elle s’avère bien impuissante à aider les survivants.
Ces survivants qui rappellent à tous au quotidien, l’atrocité de cette guerre que l’on voudrait oublier. Ils méritaient pourtant la fraternité et le soutien de la Nation. Leurs traumatismes tout autant physiques que psychologiques, demeureront des blessures bien difficiles à admettre et à cicatriser dans les années d’après guerre. Se relever d’un traumatisme de cette ampleur n’est pas un défi individuel, il doit être relevé collectivement par toute une société, unie autour de ses victimes.
Cent ans nous séparent de ce qui fut l’année la plus emblématique et la plus sombre de ce conflit, celle qui en caractérisa sa barbarie la plus sauvage.
1916 est l’année des batailles. La guerre industrielle semble à son paroxysme avec ses conséquences irréparables sur les hommes et les paysages de notre pays. L’engagement des troupes est plus massif et les Etats souhaitent accroitre leur puissance de feu pour en finir, quitte à sacrifier de nombreuses vies.
1916, c’est le traumatisme de la Somme, la bataille la plus meurtrière de la guerre. Du 1er juillet au 18 novembre 1916, ce sont 1.2 millions d’hommes qui y perdront la vie.
1916, c’est l’enfer de Verdun, enjeu d’une terrible bataille entre les forces françaises et allemandes. Chaque régiment de l’armée française participa à cette bataille, ce qui en fait la bataille de la Nation.
Verdun, apogée de la Grande Guerre, marquera durablement l’imaginaire des français et s’inscrira au travers des générations dans les mémoires intimes des familles. Pourtant elle ne fut ni la plus longue, ni la plus meurtrière des batailles.
En réponse à cette année sanglante, 1917 sera l’année des mouvements pacifistes européens, des soldats français comme allemands extenués, désespérés, rentrés en rébellion contre une guerre sans fin, pour finir souvent fusillés. Leur honneur leur sera rendu et ils seront officiellement réintégrés dans notre mémoire collective 80 ans plus tard, par la République française en 1997.
1917 sera également l’année de l’entrée en guerre officielle des Etats Unis d’Amérique. Elle fut déterminante. Le 4 juillet 1917, une cérémonie est organisée pour les premiers soldats de l’armée américaine arrivés à Paris au cimetière de Picpus sur la tombe de La Fayette, « le héros des deux mondes ». L’état major du Général Pershing lancera ce resté célèbre « Lafayette we are here ! ». A cette occasion il invoquera l’amitié franco américaine qui dure depuis. Renforcée encore lors de la seconde guerre mondiale, je forme l’espoir qu’elle survive aux résultats des dernières élections américaines, car nos démocraties sont fortes et sauront préserver ces liens historiques entre nos deux pays.
En ce jour, tous rassemblés près de ce Monument aux Morts, nous pensons à tous ces morts, à leur courage. Je nous invite aussi à avoir une pensée pour nos soldats, qui loin de la France se battent aujourd’hui pour assurer notre sécurité ici. Une pensée aussi pour nos militaires et policiers mobilisés comme jamais, pour nous protéger ici. A tout moment ils peuvent avoir à faire face à une nouvelle attaque terroriste et risquer leur vie pour sauver la notre, celle de nos enfants. Enfin, je voudrais aussi avoir une pensée pour tous ceux qui risquent tout, pour échapper à la guerre qui fait rage dans leur pays et qui viennent chercher asile chez nous.
Se souvenir de cette grande guerre doit nous conduire à construire la paix avec encore plus de conviction et d’engagement. Chacun à notre niveau nous pouvons résister aux dérives de l’instinct guerrier et la peur de l’autre qui pourraient nous conduire au pire.
Je vous remercie.