Le 19 mars 1962 reste une place du 12e et une commémoration nationale
mars 19, 2015 dans A la une, A vos côtés, Non classé par Catherine Baratti-Elbaz
Discours du 53e anniversaire du cessez le feu en Algérie sur la place du 19 mars 1962, dans le 12e arrondissement de Paris, le 19 mars 2015
Monsieur le Président du Comité de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie
Monsieur le Vice-président National de l’Union Française des Associations de Combattants et de Victimes de Guerre,
Mesdames et Messieurs les membres des associations d’anciens combattants,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureuse de vous retrouver cette année encore, sur cette place de notre arrondissement, à deux pas de la Gare de Lyon, d’où partirent beaucoup de français vers Marseille pour rejoindre l’Algérie. J’ai souhaité prendre la parole devant vous, ici sur cette place du 19mars1962, aujourd’hui pour réaffirmer l’importance de la commémoration de l’achèvement de ce que fut la guerre d’Algérie, pour réaffirmer l’importance du devoir d’honorer le souvenir des nombreuses victimes de la « Tragédie algérienne » sans pour autant diviser la Nation , sans pour autant instrumentaliser cette blessure de la Mémoire française.
Car cette journée du 19 mars symbolise avant tout notre devoir de mémoire envers les nombreuses victimes de ce conflit : les 250 000 à 300 000 morts dans la population musulmane d’Algérie, les 25 000 morts français, les 65 000 blessés militaires, les 2788 civils français tués du 1er novembre 1954 au 19 mars 1962 et enfin les milliers de français et algériens enlevés et disparus après le cessez-le-feu, sans oublier les victimes des attentats perpétrés par l’OAS.
Commémorer cette date de la signature des accords d’Evian, c’est commémorer une concorde qui a permis de mettre fin à une guerre entre une nation en devenir et une puissance coloniale. Une guerre que l’on a longtemps circonscrite à de simples « événements ».
Sans attiser les querelles mémorielles, sans diviser le peuple français, sans créer de désaccord, je peux rappeler en ce jour, que la commémoration des accords du 19 mars 1962 rallie la majorité d’entre nous. La remettre en cause c’est aller contre l’esprit de rassemblement au sein de la République. Après tout ce que nous venons de vivre, ici à Paris, comme en Europe ou encore hier de l’autre coté de la Méditerranée, nous ne devons pas rouvrir des plaies cicatrisées. Je suis au contraire convaincue que nous pouvons puiser dans notre histoire commune, pour relever ensemble ces nouveaux défis, pour nous battre ensemble face à ces nouveaux ennemis.
Pour certains, je le sais, cette date est synonyme de déchirement, d’abandon, de déracinement, nous ne pouvons le contester.
Le sort de ces dernières victimes civiles souligne d’autant plus la complexité et la singularité de conflit. La multiplicité des victimes de cette guerre nous impose encore plus qu’il y a 53 ans de refuser toutes les formes d’instrumentalisation de cette mémoire.
Faut-il accepter que cette douleur permette de justifier le déversement de pensées nauséabondes ? Faut-il pour autant accepter que l’on nourrisse ce traumatisme d’une haine de l’autre, d’une détestation de notre Nation comme des individus qui constituent la France « multiculturelle » aujourd’hui ? Je ne l’accepte pas.
Ces ennemis de la République et de la Nation parient sur nos oublis et nos silences, en prenant la parole aujourd’hui je décide de ne pas leur laisser le champ-libre.
Nous avons le devoir de transmettre notre histoire, sans mythes ni tabous. Nous devons la regarder avec lucidité, aussi douloureuse soit elle, pour construire une réelle politique de mémoire de cette tragédie que fût la guerre d’Algérie.
Longtemps, la politique de l’oubli a régné. Jusqu’en 1999, le conflit algérien n’avait pas officiellement le nom de « guerre ».
Trop longtemps, des euphémismes tels que : « les événements d’Algérie » ou bien encore « les opérations de maintien de l’ordre » ont entretenu le trouble sur cette période.
Le devoir de mémoire exigé en faveur des héros et des victimes de la Seconde Guerre Mondiale puis des atrocités commises par le régime nazi s’est longtemps opposé au devoir d’oubli imposé aux victimes de la guerre d’Algérie.
Il est arrivé que ces deux mémoires se rencontrent et s’accordent notamment lors du Procès de Maurice Papon en 1997.
Lorsque l’ancien Préfet de police de Paris fut jugé pour son implication dans la déportation mais aussi mis en cause publiquement pour son rôle dans la répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 à Paris, un drame à l’origine d’une centaine de morts.
Cela marque le début de ce qu’on appelle « l’explosion mémorielle ». Cet événement avec d’autres, ont mis en évidence le besoin accru de vérité. Ils ont été à l’origine de l’ouverture de nombreuses archives et par conséquent du commencement de l’accomplissement du devoir d’histoire et de la cicatrisation des blessures de notre Nation.
La nouvelle politique mémorielle menée ces vingt dernières années, nous vous la devons essentiellement à vous, anciens combattants de la Guerre d’Algérie mais aussi aux nombreux historiens tels que Benjamin Stora qui n’ont cessé de rechercher le vrai pour parvenir à panser cette blessure de la Mémoire Française. Alors que d’autres l’ont conspué pour son travail, je tiens à lui rendre hommage, pour son œuvre, son courage et sa persévérance. Je suis fière qu’il préside désormais le Conseil Scientifique du Musée national de l’histoire de l’immigration, dans notre arrondissement.
Certains propagateurs de haine instrumentalisent une souffrance qui se cristallise autour de cette date symbolique. Souffrance réelle, empreinte du souvenir d’ « une guerre cruelle pour les uns » et de la réminiscence de « l’accélération des drames vécus et au basculement dans les déchirements » pour les autres. C’est ce que rappelait le texte de la proposition socialiste à l’origine de cette journée de commémoration.
Cette proposition rappelle également la douleur ressentie par les Français d’Algérie rapatriés, brisés par l’abandon de leurs terres et de leurs racines ainsi que le lourd tribut payé par les harkis.
Le différend autour cette date n’est que le symptôme d’un mal plus profond. L’instrumentaliser, c’est faire obstacle à la cicatrisation des blessures de notre Histoire et nous empêcher de d’affronter ensemble un présent douloureux comme de construire notre avenir commun.
La guerre d’Algérie ne constitue pas une page apaisée de l’histoire, mais c’est notre histoire. Tant que ce conflit sera l’objet de tentative d’interprétation biaisée d’extrémistes, le dialogue sera dévoyé, la concorde sera menacée.
La Guerre d’Algérie s’est achevée officiellement par la signature des Accords d’Evian. Les violences n’ont pas cessé après l’annonce de la signature, mais le peuple français a très largement approuvé ces accords par référendum. Cette date, qui symbolise l’exode pour certains et la naissance d’une nouvelle nation pour d’autres, doit rester la date du souvenir pour toutes les victimes de cette guerre.
C’est une des conditions de notre unité nationale.