71e anniversaire de la Libération des camps
janvier 27, 2016 dans A la une, A vos côtés par Catherine Baratti-Elbaz
Monsieur le Président de l’Association pour la Mémoire des Enfants juifs déportés,
Monsieur le Président du Comité d’Entente des Associations de Combattants et de Victimes de guerre
Mesdames et Messieurs les anciens résistants,
Mesdames et Messieurs les membres des associations d’anciens combattants,
Mesdames et Messieurs les filles et fils de Déportés
Mesdames et Messieurs les élus,
Madame la Commissaire centrale,
Mesdames et Messieurs,
C’est avec gravité que je m’adresse à vous aujourd’hui, en cette journée internationale de la mémoire des victimes de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité.
La France et l’ONU ont retenu le 27 janvier, date de la découverte du camp d’Auschwitz par l’armée soviétique, pour instituer cette journée internationale du souvenir.
Nous sommes donc rassemblés pour honorer la mémoire des victimes de la Shoah, pour transmettre aux jeunes générations l’horreur de cette idéologie.
Commémorer les victimes est un devoir commun de l’humanité, qui s’impose à nous. C’est un appel à « se souvenir ensemble » et à partager cette mémoire universelle sans distinction d’origines ou de religions.
Chaque année je me pose la même question, comment trouver les mots, comment trouver les mots justes pour décrire l’horreur. Et pourtant, il est important que ces mots soient dits, pour que cette partie de notre histoire commune reste présente à nos esprits, et nous éclaire pour agir, pour que nous puissions la transmettre à nos enfants.
Alors les mots précis doivent nous permettre de rappeler les faits, inlassablement, même s’ils nous renvoient à la plus radicale des perversions : la négation de l’humanité en l’être humain.
Le 27 janvier 1945, il y a donc 71 ans, l’Armée Rouge libérait le camp d’Auschwitz-Birkenau. Dans ce lieu, plus d’1,1 millions d’hommes, de femmes et d’enfants dont la très grande majorité était juive, mais aussi de nombreuses personnes simplement coupables de leurs différences : tziganes, homosexuels, prisonniers politiques, ont été assassinés. Là aussi les mots doivent être précis et ne pas atténuer la réalité. Elles n’ont pas été perdues. Elles n’ont pas été déplacées. Elles ont été emprisonnées, affamées, torturées, brisées, assassinées et brûlées. Cela est difficile à entendre mais c’est la vérité que nous devons préserver pour éviter qu’un tel génocide ne se reproduise. Ces mots douloureux sont ceux des perles rares que constituent les survivants. Il faut les reprendre à notre compte, pour que jamais ces mots ne se perdent, pour que jamais la cruauté de la vérité ne s’atténue.
La Shoah est le résultat de l’obsession antisémite d’Hitler, de ce qu’était selon lui « le danger juif » mais aussi de l’indifférence et du silence.
Commémorer, c’est aussi vouloir comprendre les processus historiques et sociaux qui ont rendu possible ce déchaînement de la violence. Les Nazis se sont appuyés sur des technologies de communication modernes pour ancrer leur idéologie raciste et antisémite dans les esprits. La conquête du pouvoir et la mainmise sur tous les moyens d’information et de propagande leur a permis de légitimer leur projet radical de domination fondé sur la hiérarchie des « races » et le déni de l’unité du genre humain. L’histoire de la Shoah nous rappelle à quel point il y a des mots qui tuent. Car il existe toujours des signes avant-coureurs de la tragédie, des discours qui s’affirment d’autant plus haineux qu’ils restent sans réponse.
Certains pourtant se sont levés très tôt. Saluons le courage et la clairvoyance de celles et ceux qui ont su voir venir la tempête, et résister à la barbarie. Nombreux sont ceux qui ont fui vers d’autres continents. Certains sont arrivés dans notre pays, où ils ont d’abord été accueillis, protégés, cachés par des Français qui ont honoré les valeurs de la France en leur accueillant l’asile.
Certains ont résisté. Nous oublions souvent le courage des juifs de France dès le début de la Guerre pour sauver la patrie.
En effet dès 1940, les juifs sont nombreux dans la Résistance : René Cassin, Jules Moch, Pierre Mendès-France, Raymond Aubrac… La liste est très longue et nous n’avons là que les haut-gradés. Comme l’expliqua plus tard le socialiste Daniel Mayer, ils pensaient tous sincèrement que « la solution du problème juif serait incluse dans la solution globale de la victoire des démocraties ». Les Juifs de France défendaient leur partie, sa justice et leur république d’abord comme français.
Mais la collaboration du gouvernement de Vichy a permis que cette obsession absolue des juifs, conduise à une politique d’extermination à grande échelle. Ayant commencé à l’Est elle s’étend dès lors en France, dès 1941.
1941, qui fût l’année des fusillades d’hommes juifs, bientôt suivis de massacres de familles entières, de la construction des premiers centres de gazage en Pologne et de la première mise à mort de 70 000 malades mentaux.
Auschwitz incarne plus que tout, la barbarie nazie. Ce système concentrationnaire fut l’instrument de la mise à mort programmée de centaines de milliers d’hommes et de femmes. A la fois, camp de travail, camp de torture, camp de concentration et camp d’extermination. Camp de la mort ; immédiate ou différée, mais aussi lieu d’esclavage sexuel où des milliers de femmes slaves ont été contraintes de se prostituer.
Toutes ces abominations avaient lieu au cœur de ce camp constitué de blocs et de zones ayant chacun une propriété définie : du commandement, à l’extermination, de la désinfection aux fosses communes.
Ces blocs, dont la seule évocation suffit à nous emplir de terreur, renfermaient les pires atrocités que notre monde ait connues.
La barbarie était présente à chaque étape de l’extermination : de la sélection à la mort lente dans d’atroces jusqu’aux corps profanés par l’appât du gain. Les camps d’extermination étaient une monstrueuse machine à avilir et à tuer.
Longtemps, le « violent désir » de parler des survivants s’est heurté à « l’absence d’écoute » . Longtemps, la spécificité du sort des juifs n’a pas vraiment été perçue par l’opinion.
La pensée antisémite, trop souvent limitée à la perception et à la souffrance des juifs, ne l’est pas assez à son caractère profondément raciste et avant tout antirépublicain.
Il ne doit jamais y avoir, il n’y aura jamais de disparité entre les blessures et les souffrances ressenties par les citoyens juifs de France et la République Française. Car quand on s’en prend aux juifs de France c’est à la France toute entière que l’on s’attaque. Cette phrase nous l’avons prononcée lors de la tuerie de l’hypercacher en janvier 2015, mais déjà après la tuerie de Toulouse dans une école juive en mars 2012. Comme nous l’avions déjà dit lors de l’enlèvement, la séquestration, la torture et l’assassinat d’Ilan Halimi, il y a 10ans déjà. Mais peut être à l’époque n’avons-nous pas été assez entendus.
Alors, ne laissons jamais la propagande et la falsification de l’histoire sans réponse. Ne laissons passer aucune des contre-vérités qui font le lit du négationnisme. L’enseignement de l’histoire de la Shoah doit nous servir d’antidote. Il peut nous permettre d’anticiper les signes d’une violence radicale qui se propage. Il doit nous aider à déceler et à dénoncer sans relâche l’antisémitisme sous toutes ses formes, y compris lorsqu’il s’exprime de manière insidieuse, derrière un anti-sionisme de façade.
N’ayons pas peur des mots, rendons leurs, leur importance, utilisons les en hommage, et en souvenir des victimes.
Sachons être les acteurs d’une mémoire active, tournée vers l’avenir, attachée à l’égale dignité de tous les êtres humains, comme fondement de la paix.
Je finirai pas ces mots justes de Simone Veil :
« Venus de tous les continents, croyants et non-croyants, nous appartenons tous à la même planète, à la communauté des hommes. Nous devons être vigilants et la défendre non seulement contre les forces de la nature qui la menacent, mais encore davantage contre la folie des hommes ».