11 novembre 2015: 97e anniversaire de l’Armistice de 1918
novembre 11, 2015 dans A la une, A vos côtés par Catherine Baratti-Elbaz
C’est devant près d’une centaine d’habitants du 12e réunis sur le parvis de la Mairie que j’ai prononcé ce discours à l’occasion du 97e anniversaire de l’Armistice de 1918.
Monsieur le Président du Comité d’Entente des Associations de Combattants et Victimes de Guerre,
Monsieur le Vice-président National de l’Union Française des Associations de Combattants et de Victimes de Guerre,
Mesdames et Messieurs les membres des associations d’anciens combattants,
Mesdames et Messieurs les élus,
Madame la Commissaire,
Madame la Directrice de l’école
Mesdames et Messieurs,
C’est avec beaucoup de responsabilité que je m’adresse à vous, à l’occasion de ce 97e anniversaire de l’Armistice de 1918 dans le cadre exceptionnel du centenaire de la Première Guerre Mondiale.
Avec la mort du dernier poilu français en 2008 et du dernier vétéran de la Grande guerre en mai 2011, la disparition progressive des témoins directs de la Grande Guerre nous conduit à réinterroger ces cérémonies et le travail de mémoire que nous devons conduire, ensemble.
En ce jour férié, nous devons nous souvenir de ce que fût « la Grande Guerre », ses origines, son ampleur, son dénouement et ses conséquences irréversibles. Cette guerre constitua en effet un traumatisme majeur qui a marqué durablement le continent européen mais elle entraîna aussi des mutations à l’échelle mondiale.
Aujourd’hui, nous rendons avant tout hommage aux millions de morts, de blessés et d’invalides de ce conflit. La Grande Guerre a décimé des armées et meurtrit des millions de civils, elle a engendré des millions de veuves et d’orphelins de guerre. 50% des 70 millions de soldats enrôlés ont été des victimes directes de la guerre tués, blessés ou faits prisonniers. Il y eut plus de 8,5 millions de morts parmi les soldats dont 1,4 millions de soldats Français. A titre de comparaison, en France, c’est 6 fois plus que lors de la Seconde Guerre Mondiale.
Nous commémorons en ce 11 novembre la fin de cette guerre, la mémoire de ce sacrifice inouï de millions d’hommes et de femmes d’ici mais aussi d’ailleurs, dans les pays de nos éternels alliés et de nos adversaires d’hier. Un tiers « seulement » des dix millions de soldats morts de la guerre, appartiennent aux armées française et allemande. Des centaines de milliers de soldats étrangers sont venus combattre et mourir sur notre territoire : des Anglais, des Ecossais et des Irlandais, des Australiens, des Néo-Zélandais, des Canadiens, des Américains, et même des Tchèques et des Russes, sans compter nos colonies et protectorats.
En 1914, à la veille de la Grande Guerre, les troupes coloniales comptent 102 bataillons et 39 batteries. Parmi ces 102 bataillons, la « Force Noire » (les troupes issues de l’Afrique noire) représentait le quart des effectifs, formés de soldats le plus souvent réquisitionnés que mobilisés. Ainsi ce sont environ 200 000 « Sénégalais » de l’Afrique Occidentale Française qui se battent sous le drapeau français, 15 % d’entre d’eux ne reverrons jamais leur pays. On évoque 72 000 combattants de l’ex-Empire français morts entre 1914 et 1918, « fantassins marocains, tirailleurs Sénégalais ou encore d’Indochine, marsouins d’infanterie de marine ». Je suis fière que sur notre territoire, dans le jardin d’agronomie tropicale, plusieurs monuments aux morts soient érigés, à la mémoire de ces troupes coloniales ayant combattu sur le territoire métropolitain. Car, pendant la Première Guerre mondiale, le site du jardin d’agronomie tropicale servait d’hôpital spécialement dédié aux troupes coloniales.
Un jardin exotique à Paris par mairiedeparis
Ces soldats ont combattus, avec les soldats français, en Italie, dans les Balkans et dans l’Empire ottoman. Cette guerre n’est pas une guerre franco-allemande, mais bien une guerre d’abord européenne, puis mondiale.
Aussi ses conséquences sont-elles mondiales : elle a changé l’ordre du monde. Sur le plan économique, elle a fait basculer le centre de gravité du monde au profit des Etats-Unis. Elle a signé la fin de la suprématie de la City sur Wall Street. Elle a fait disparaître les Empires austro-hongrois et ottoman, et créé de nouveaux Etats : la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie.
La Grande Guerre a vu aussi la naissance d’une économie de guerre sans précédent, d’un effort de guerre consenti par toute la société.
Ce fut à la fois la découverte de la guerre industrielle et de la mort de masse. Au moment où les morts sont les plus nombreuses, c’est le basculement de la guerre courte du XIX° siècle, à la guerre longue du XX° siècle.
Parce que c’est une guerre longue et industrielle, le front intérieur est peut-être plus important encore. Le front intérieur allemand n’a pas tenu. Celui des alliés a lui résisté parce que les Etats ont été capables de le gérer. Ainsi la guerre a mobilisé toute la société : les femmes, les jeunes et les anciens ont du achever les moissons puis investir les usines qui doivent tourner à plein régime. Entre mars 1917 et 1918, la France et l’Angleterre produisent ensemble en moyenne 480 000 obus chaque jour. Partout, les femmes passent des usines textiles ou du ménage aux usines de guerre, et il leur faut en outre faire des heures de queues devant des boutiques à peu près vides. La France et le Royaume-Uni réussissent à nourrir leur population, alors qu’en Allemagne, les grandes insurrections débutent par des manifestations de femmes devant des magasins vides.
Une lutte sans merci et sans précédent s’est engagée entre les grandes puissances qui utiliseront dans cette guerre totale, tous les moyens mis à leur disposition pour affaiblir l’ennemi. L’asphyxie économique, l’action sur les crédits et les mouvements de capitaux.
Cette guerre est aussi à l’origine de la stimulation des courants nationalistes dans les colonies et de conquêtes sans précédent par les Femmes d’une position sur le marché du travail et l’acquisition d’une liberté nouvelle. L’obtention dès 1918 du droit de vote des femmes au sein au Royaume-Uni et en Allemagne en résulte directement.
Dans un société où la guerre a fauché toute une génération d’hommes. Plus de 8 millions d’européens entre 20 et 40 ans reposent sur les champs de bataille, laissant 4 millions de veuves et 8 millions d’orphelins. Six millions d’invalides portent à jamais dans leur chair les stigmates du combat de la Grande Guerre. Pour deux générations d’hommes, la veuve et le mutilé font désormais partie intégrante du paysage social. Les pertes matérielles et financières sont spectaculaires et il faudra bien plus d’une décennie pour relever les ruines de la guerre. Les zones de combats restent marquées dans leur paysage par les vestiges du massacre.
Malheureusement cette guerre totale ne fut pas la dernière. C’est l’avènement de la « brutalisation » de la société, la mort à distance infligée par un ennemi invisible. Cette guerre a infligé aux combattants et aux populations civiles des épreuves dont la brutalité est sans commune mesure avec celles des siècles passées, préfigurant celles que connaîtra le monde quelques décennies plus tard.
Nous devons faire vivre cette histoire et les autres dans le présent comme l’ont fait les élèves de l’école Lamoricière au travers de cette belle chanson, nous devons nous interroger sur les erreurs commises pour ne pas les reproduire. Les commémorations ne sont pas de modestes cérémonies protocolaires mais représentent ce qui constitue l’essence de notre Nation et la transmission de notre héritage. Je voudrais l’illustrer en vous rappelant ce que fût le 11 novembre 1940, dans une France occupée. A Paris, alors que le haut commissariat allemand avait interdit toute forme de démonstration publique en ce jour anniversaire de la fin de la 1ère guerre. Pourtant la jeunesse parisienne s’est rassemblée Place de l’Etoile pour honorer la mémoire du Soldat inconnu. Ces lycéens ont bravé l’interdit pour pouvoir entonner la Marseillaise près de l’Arc de Triomphe. Ils ont été battus, emprisonnés et certains victimes de simulacres d’exécution pour avoir honoré la Mémoire de leur Nation. Saluons leur courage.
Les souvenirs de Liedstadt, de cette ville de souffrance pleine de ces « ruines», de cette « cette haine » et de ces « champs de batailles » chantés par les élèves doivent faire perdurer notre passé commun dans la mémoire de toutes les générations, mais aussi nous guider dans nos choix.
Aujourd’hui notre pays participe à la coalition contre les djihadistes en Irak, et a commencé depuis fin septembre à mener des frappes sur la Syrie. Depuis quelques jours c’est le porte-avion Charles de Gaulle qui est mobilisé contre Etat Islamique. Car après avoir été frappés sur notre sol, nous n’avions pas d’autre choix que de prendre les armes et défendre les valeurs de la République qui nous unissent. Aujourd’hui je voudrais aussi avoir une pensée pour nos soldats engagés dans ces opérations.
Je suis convaincue qu’en gardant en tête cette partie de notre histoire nous ferons des choix éclairés.